Les 4 directions clefs de la transmission (Shiho) de la guerre ou de la paix

Article du 21 mars 2022 : Article du mois de Mars 2022 : Les 4 directions clefs de la transmission (Shiho) de la guerre ou de la paix.

Le mois de mars est le mois de la guerre, dans la mythologie romaine, Mars est le dieu des guerriers, de la jeunesse et de la violence et père de Romulus et Remus Fondateurs de la Rome éternelle. Le culte du dieu Mars connait deux moments forts, au mois de mars et au mois d’octobre, début et fin de la saison guerrière.

Mars est aussi le mois des Poissons ainsi que l’anniversaire de Maitre TAMURA Nobuyoshi, né le 2 Mars 1933 à Osaka et de son épouse Rumiko. C’est en qualité de Fondateur de la Fédération Française d’Aïkido (FFAB) qu’il se fera connaitre en France.  Cet article est rédigé à sa mémoire et à son œuvre qui fut de faire découvrir l’Aïkido, l’art martial japonais par excellence de l’amour et de l’harmonie : « La finalité de la pratique de l’Aïkido, n’est pas de détenir une technique martiale efficace dans le but de tuer les autres, mais pour créer la paix et l’harmonie. L’Amour est la source qui anime cet univers : toutes les actions sont une fonction de l’Amour. L’Aïkido est le chemin original qui permet d’agir de manière constante pour créer la paix et l’harmonie entre les hommes et toutes les cultures du monde » O’Senseï Moreihei Ueshiba[1].

Soudain, au plus près de la réalité la guerre éclate en Europe et le monde entier bascule dans l’horreur du jour au lendemain. Quelques soient les raisons des conflits, la cause est toujours dans le ressentiment d’une souffrance. Comme sur le  tatami, celui qui ne peut bannir le mal au plus profond de lui va projeter la haine, alors que celui qui va voir en l’autre l’occasion de passer de l’esprit individuel fermé en esprit universel ouvert projettera l’Amour. Nous sommes tous les premières victimes de nos projections.

 


Dans son livre : « Aïkido Étiquette et transmission » paru en février 1989. Editions du soleil levant. Maitre TAMURA montre en première page une calligraphie de Taisen Deshimaru représentant un cercle complet ou fermé. Cependant sa légende évoque l’image d’un cercle incomplet : « Le cercle incomplet représente l’infinie puissance de la vacuité (KU).

Dans son livre : « Zen et vie quotidienne, la pratique de la concentration » Albin Michel.

T. Deshimaru, parle de « Shiho » p.73 : Tel un « Certificat de transmission et de succession remis par le Maitre au cours d’une cérémonie ». Shiho, signifie aussi les 4 directions, le chiffre 4, chiffre de la Concentration du cercle fermé ou le chiffre 8, l’Observation du cercle incomplet (KU) la vacuité. Dans la pratique de l’Aïkido Shihonage est une technique : « Projection dans toutes les directions (SHI =4, HO=direction, Nage= projection)[2]

Pour illustrer Shiho, Deshimaru cite le sutra du Sandokai (enseignements de Maître Sekiko Kisen- VIIIe siècle), deux poésies qui traitent de l’ombre et de la lumière : « Comme la bougie que l’on allume, l’œil céleste chasse l’obscurité » A noter cependant que dans le zen tout comme dans l’Aïkido les yeux qui regardent sont mi-clos (ni complétement ouverts ni fermés

 

Poésie N°1 :

Dans l’obscurité existe la lumière

ne regardez pas avec une vision obscure.

Dans la lumière existe l’obscurité,

ne regardez pas avec une vision lumineuse

Poésie N°2 :

Lumière et obscurité créent une opposition

mais dépendent l’une de l’autre comme

le pas de la jambe droite dépend du pas

de la jambe gauche

 

Le sutra ajoute : « L’ombre des arbres dans l’obscurité de la nuit ne peut être perçue par l’obscurité. Cependant l’œil céleste peut la voir. Et Deshimaru de conclure : « La lumière phénoménale est l’obscurité de l’œil céleste, et l’obscurité phénoménale est la source de la lumière originelle. Ainsi en est-il des souffrances (Bonnos[3]). En effet, souffrances et illusions suivent comme son ombre le chemin du pèlerin dans les 4 ou 8 directions qu’il puisse prendre.   

L’auteur évoque ensuite « les 4 méthodes d’éducation pour l’être souffrant » (Shiddhantas) antérieurement expérimentées par Bouddha lui-même : La souffrance est une maladie, celui qui souffre est emprisonné dans ses passions et illusions, plongé dans un état conflictuel, un état de guerre.

1-La méthode sociale : Consiste à encourager les patients à suivre leurs penchants jusqu’à ce qu’ils découvrent par eux même la lassitude, ou l’ennui, cela afin d’éveiller en eux la curiosité et de les ramener progressivement sur la bonne voie, celle de ne pas trop écouter leurs passions, vraie cause de leurs maux.

2-La méthode fondée sur les caractéristiques de chacun : Par la compréhension du comportement individuel (Karma), perçu à travers la personnalité de chacun, expressions, physionomie, le médecin ou le maître est capable par ses enseignements individuels de déclencher au moment propice un l’éveil salvateur.

3-La méthode de la pratique de Zazen : « Concentration, méditation sans objet, retour à l’esprit originel et pur de l’être humain » Deshimaru. En effet cette attitude fondamentale[4] est une disposition de la conscience (Mushotoku[5]) qui par nature est en harmonie avec l’ordre de l’Univers. Ce réajustement permet de laisser passer les souffrances, de ne plus les saisir, afin qu’elles s’éteignent d’elle-même : « C’est cet état de conscience qui transcende tous les dualismes égocentriques, met au diapason l’accomplissement des actions individuelles fondues dans le rythme du mouvement cosmique » Deshimaru.

4-La méthode la plus élevée est le satori lui-même : « Bonno soku Bodai » : Les souffrances, les illusions  sont le satori : « Comme la fleur de lotus prend racine dans la boue des marécages, le satori se réalise inconsciemment en nous par la transformation naturelle des  souffrances, et l’esprit de compassion s’éveille conséquemment à la vue de ceux qui souffrent » Deshimaru.

 De ce fait Shiho (ou transmission Zen Soto) évoque les relations particulières entre le Maître et ses élèves : « Lorsque le disciple est prêt, que le moment opportun est venu, le maitre utilise un moyen habile et adéquat pour faire entrer rapidement son disciple dans l’authentique vérité et de la faire s’éveiller à la vraie liberté du satori » T Deshimanru.

-Revenons à ce point au livre clef de Maitre TAMURA « Étiquette et transmission » illustré en par une photo du fameux « Kinkakuji de Kyoto »[6] (que j’eu la chance de visiter à deux reprises en sa compagnie). Une citation apparait sous la photo : « il faut éliminer les poussières et les impuretés de l’âme ». A l’intérieur du temple d’or figurent les divinités guerrières des 4 directions, au sommet sur le toit est placé le phénix ayant la forme d’un dragon divin ou roi Dragon[7].

-En effet précise-t-il plus bas : « Le nettoyage enseigne beaucoup, pour pouvoir nettoyer tous les recoins du dojo et de ses abords, il faut prendre un balai, et tenir le manche avec légèreté et faire passer le Ki jusqu’aux poils de la brosse, l’utiliser avec agilité, force, le principe est le même que pour le sabre ou le bâton. C’est un exercice qui permet, en balayant tous les recoins, d’apprendre à voir jusqu’aux aspects cachés des choses »

-Le nettoyage des dojos ou « cercles d’entrainements » est réservé aux débutants afin de favoriser leur intégration dans la communauté des pratiquants, c’est aussi pour eux un enseignement : « Le nettoyage permet de mettre les choses en place, de les classer et de les ranger ».

Ainsi, à partir du « Misogi », ou « ablutions », rituel de purification par l’eau pratiqué dans les sanctuaires shintoïstes, et dans la vie de tous les jours au Japon, Maitre TAMURA rajoute    un élément synthétique, une seule priorité, qui va changer complètement le sens du commun Misogi : « Ne pas oublier l’esprit du débutant ». En effet, avec le temps, au gré des gratifications, des épreuves de la vie, ou de l’habitude, le pratiquant confirmé devenu enseignant peut très bien pratiquer machinalement le Misogi sans pour autant être purifié par l’eau[8].

Ainsi tous ceux qui ont su garder l’esprit du débutant, ont pu créer un corps humain ou un Dojo à l’image d’un  « cercle ouvert », incomplet qui ressemblerait à la lettre C, C comme « Concentration », C comme « Certificat de transmission et de succession donné par le Maître à l’élève » Dans ce cas les impuretés accumulées à l’intérieur circulent plus facilement à l’extérieur par l’ouverture du cercle et s’éliminent d’elles même en allant chercher naturellement infection ailleurs, puisque la porte est restée ouverte laissant apparaitre à l’intérieur un monde purifié de paix et d’harmonie : « La paix ne réside pas seulement en soi, elle peut exister à la fois en et autour de soi, L’Aïkido est une épée à double  tranchant quand on a coupé l’adversaire en deux , il faut savoir que l’on s’est coupé soi-même en deux » O Sensei p.95. Cette idée de transmission de l’Amour ou de la Paix ne se retrouve-t-elle pas dans la 4ème attitude fondamentale IRIMI » : « Mettre son corps dans le corps de l’adversaire, de passer la porte, d’entrer, comme un petit enfant entrerait dans le ventre de sa mère » pour illustrer le tout premier pas du débutant.

-Mais dans le cas contraire de l’oubli de l’esprit du débutant, le corps du pratiquant ou le Dojo ressemblerait à un « cercle fermé » dans lequel les impuretés, les illusions et souffrances n’auraient pu s’échapper, présentes et prisonnières en état de latences, elles continueraient tel une infection virale à investir le monde intérieur pour se projeter à l’extérieur dans les 4 directions de l’espace. C’est aussi le cas de ceux qui font la guerre, qui sans cesse cherchent à agrandir leur frontière, à conquérir des espaces supplémentaires, ou à détruire les opposants par la force pour satisfaire leurs désirs de grandeur.  

 

Soudain, je me suis demandé à quelle catégorie de pratiquant j’appartenais ? En effet, pour augmenter son estime personnelle, il est important de ne pas avoir les yeux rivés sur les autres et de se consacrer sur son parcours en soi. Au Japon cette attitude introspective se nomme Oubari : « l’art de ne pas se comparer aux autres et de faire preuve de bienveillance envers soi-même. Cette longue période de Covid ayant entrainé la fermeture de nombreux lieux d’entrainement, nous aurait-t-elle offert un temps de réflexion sur l’essence de la pratique ? Si je me trouvais assurément dans l’impossibilité de pratiquer l’Aïkido de manière habituelle, ni d’envoyer une quelconque attestation, qu’est-ce qui m’empêchait de prendre le balai pour nettoyer mon espace de vie, espace de travail, espace de souffrance, espace de joie avec l’esprit du débutant ?  

 

Boscagli Guy

 

N.B : Référence de l’article : SHUMEIKAN-N° 4-Janvier 2010-Page 4 Dialogue et transmission. Tamura Shihan.Misogi Travail de Purification.

 

[1]O’sensei est le fondateur japonais de cette discipline martiale et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet.

[2] Source : Le code d’honneur de l’Aïkido et du pratiquant. Aikikai de France édition FFAB du 7 octobre 1985.

[3] Bonnos : les illusions, les souffrances.

[4] En Aikido SHISEI = Attitude, posture position, pose SHI= Forme, figure, taille, SEI=Force, vigueur. Les yeux sont mi-clos. Équilibre dans l’action(  karma)

[5] Mushotoku : « Une concentration d’esprit qui n’est plus attaché au résultat de l’action ni en gain, ni en perte, n’appréhende plus les données du vécu à travers les dispositions corrélatives à l’ego, fait abstraction des interprétations subjectives, la réalité est alors perçue en elle-même »

[6] Voir photo du temple en pièce jointe.

[7] Voir détail du temple au Musée Guimet à Paris.

[8] Le rôle essentiel de purification de l’eau a été mis en valeur par un livre d’un auteur japonais Masaru Emoto auteur des messages cachés de l’eau AIME-TOI. Message de l’eau. Guy Trédaniel Editeur. Un livre de chevet que Maitre Tamura avait offert en 2004 à ses élèves de Monaco après une visite au Musée Océanographique.